D’après les promoteurs de la loi, offrir un cadre légal et médicalement encadré à la demande de mort permettrait de réduire les cas de suicide non médicalisés, souvent violents, solitaires, et entourés de détresse. Toutefois, cette hypothèse ne fait pas consensus dans la littérature scientifique.
Deux études majeures conduites par David Albert Jones et David Paton, viennent nuancer voire contester cette hypothèse. Dans un article publié en 2022 dans le Journal of Ethics in Mental Health, Jones examine les tendances des suicides dans plusieurs pays européens ayant légalisé la mort provoquée, notamment la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg. L’auteur met en évidence que dans ces contextes, la légalisation de l’euthanasie et/ou du suicide assisté n’a pas conduit à une baisse des taux de suicide non assisté. Au contraire, certaines données suggèrent une augmentation du suicide global (mort provoquée + suicides non assistés), ou du moins une stagnation, en dépit de la progression continue des cas de mort provoquée. Cette situation soulève la possibilité que la légalisation ne constitue pas une réponse préventive au suicide, mais qu’elle puisse contribuer à une normalisation plus large du geste suicidaire, en particulier chez les personnes âgées.
Cette hypothèse est corroborée par une étude antérieure, menée par Jones et David Paton, et publiée en 2015 dans le Southern Medical Journal. Les auteurs y analysent l’évolution des taux de suicide dans les États américains ayant légalisé le suicide assisté (notamment l’Oregon et Washington). À l’aide d’une analyse économétrique, ils concluent que la légalisation est associée à une hausse statistiquement significative du taux de suicide global, toutes causes confondues, comparé à des États similaires sans législation équivalente (Jones & Paton, 2015). En particulier, une augmentation marquée du suicide chez les personnes âgées a été observée, sans effet protecteur sur les autres catégories d’âge ou sur les suicides non assistés. Ces résultats suggèrent que la disponibilité légale du suicide assisté ne diminue pas le recours au suicide non médicalisé, et pourrait même contribuer à un affaiblissement des messages de prévention du suicide.
Les conclusions de ces deux travaux appellent à une prudence accrue quant aux effets sociétaux de la légalisation de la mort provoquée. Loin de constituer un remède au suicide, cette législation pourrait, selon les auteurs, participer à un climat culturel où la vie des personnes vulnérables – notamment âgées, malades ou dépressives – est perçue comme moins digne de protection.
Cette tendance soulève des interrogations fondamentales : la légalisation de la mort provoquée contribue-t-elle à une médicalisation de la mort ou à une banalisation du suicide ? Dans quelle mesure peut-elle coexister avec des politiques efficaces de prévention du suicide, qui reposent généralement sur l’affirmation inconditionnelle de la valeur de la vie humaine ?
RéférencesJones, D. A. (2022). Euthanasia, Assisted Suicide, and Suicide Rates in Europe. Journal of Ethics in Mental Health, February 7.
Jones, D. A., & Paton, D. (2015). How Does Legalization of Physician-Assisted Suicide Affect Rates of Suicide? Southern Medical Journal, October 2015, 108(10), 599–604.