Pourquoi les psys prennent la parole contre la proposition de loi sur l’aide à mourir

Alors que l’Assemblée nationale débat d’une proposition de loi qui légaliserait l’aide à mourir, de nombreuses voix issues du monde de la santé mentale s’élèvent pour dénoncer une approche jugée précipitée, partielle et dangereusement simplificatrice. Leur inquiétude repose sur un point central : l’incompatibilité entre la mort provoquée et l’accompagnement psychique, en particulier la prévention du suicide

La proposition de loi examinée ferait de la souffrance psychologique un critère d’éligibilité de la mort provoquée Pourtant, les spécialistes de cette souffrance n’ont pas été invités à la table des discussions. Des sociétés savantes psychiatriques, des associations de psychologues, ont demandé à être entendues, en vain. Cette absence interroge : peut-on légiférer sur la fin de vie sans consulter ceux qui, chaque jour, accueillent et soignent des personnes exprimant le souhait de mourir ?

Les psys rappellent un fait trop souvent oublié : le suicide, qu’il soit spontané ou assisté, est avant tout une réponse à une douleur perçue comme insupportable. Il ne s’agit pas d’un choix libre et éclairé, mais d’un acte désespéré, souvent temporaire et ambivalent. La souffrance psychique et la souffrance physique sont imbriquées : vouloir mourir ne signifie pas toujours vouloir ne plus vivre, mais souvent vouloir ne plus souffrir.

Les professionnels de la santé mentale savent que de nombreuses demandes de mort émanent de personnes traversant une dépression sévère, vivant un isolement extrême, ou confrontées à des douleurs chroniques. Une fois traitées, ces mêmes personnes expriment fréquemment leur soulagement d’avoir été accompagnées plutôt que validées dans leur désir de mourir.

Le texte prévoit la consultation de deux professionnels de santé – un médecin et un auxiliaire médical – pour valider une demande d’aide à mourir. Mais aucune évaluation psychiatrique systématique n’est exigée, même lorsque la souffrance psychique est clairement en jeu. Les psychiatres s’inquiètent : qui jugera de la lucidité d’une personne exprimant un souhait de mourir ? Quels moyens sont mis en place pour détecter une pathologie mentale influençant cette demande ? Le risque est grand que des souffrances soignables soient prises pour des volontés définitives.

Pour les professionnels de la santé mentale, la mission du soin est claire : apaiser, soulager, accompagner, mais pas provoquer la mort. Une demande de mourir n’est pas à prendre au premier degré. Elle doit être écoutée, comprise, et replacée dans son contexte médical, social et psychique. Dans un système de santé fragilisé, où l’accès aux soins palliatifs, à la psychiatrie ou aux centres antidouleur est souvent long et inégal, offrir la mort comme réponse rapide à une souffrance non traitée pose une question éthique majeure.

Dans les pays qui ont légalisé l’aide à mourir, les indications ont progressivement glissé vers des motifs non somatiques : souffrance psychique, isolement, fatigue de vivre. Des euthanasies ont été pratiquées sur des personnes jeunes, sans pathologie organique grave, mais en grande détresse psychologique. Ce que certains présentent comme des dérives est, pour les psychiatres, une évolution inévitable dès lors que la souffrance mentale est reconnue comme motif valable de mort assistée sans cadre rigoureux ni garde-fous psychiatriques.

Derrière l’élan compassionnel de la proposition de loi, les professionnels alertent sur une réalité plus crue : la misère du système de soins en France. Trop de patients attendent des mois avant de voir un psychiatre, trop de départements sont dépourvus de soins palliatifs. Dans ces conditions, proposer la mort en moins de quinze jours, avec une simple confirmation de la demande sous 48 heures, revient à faire porter à l’individu le poids d’un système défaillant.

Pour les psychiatres, cette loi ne répond pas à la souffrance, elle l’entérine. En écartant leur expertise, elle fragilise davantage les plus vulnérables, ceux qu’on devrait précisément protéger.

www.appeldespsy.org

Partager l'article :

Articles similaires